Poète national (1780-1857) - Ma biographie, chansons
Deux poètes ont bénéficié de funérailles nationales en France : Pierre Jean de Béranger et Victor Hugo. Le premier a presque disparu des mémoires françaises. Le second - dont finalement pas grand monde ne connaît bien l’œuvre aujourd’hui - les encombrerait presque. Ce qui est curieux, c’est qu’en dehors de la France, Béranger est considéré comme l’un des poètes majeurs, le premier qui a conduit la poésie au cœur de la politique. Il a été nourri au sein de la révolution française. Témoin de 1789, de la Terreur, il a été formé à l’école républicaine où les collégiens apprenaient à déclamer. Il a choisi d’écrire ses vers sur les musiques des chansons en vogue : le peuple, encore illettré, connaissait par cœur ses compositions, comme aujourd’hui on connaît quelques sketches de Coluche. Il attaque la restauration, mais on retrouve ses œuvres complètes sur la table de chevet de Louis XVIII ( qui avait aussi accordé une pension de 2.000 francs à Victor Hugo ) ... Il refuse tout honneur - Académie Française, Légion d’honneur - et tout engagement concret dans la politique - quoique le parti " indépendant " se revendique de lui. Le " défenseur du peuple et de l’humanité ", comme le qualifie de Lamennais, sera, à son insu, le chef de file des poètes du XIX° siècle qui se revendiquent de lui. Nerval compose un couronnement poétique, Musset lui écrira toujours, Hugo le visitera en prison...
En France, il est victime, peu de temps après sa mort, d’un véritable ostracisme. Napoléon III voudra le récupérer. Et le règne des journalistes remplace celui des chansonniers. Pis encore, Karl Marx l’admire, les Saint-Simoniens - le père Enfantin le premier - également. Traduit en Russe, Lénine, Trotsky et Staline le citeront bien souvent. Les auteurs du " Temps des cerises " et de l’Internationale " se revendique de lui. Traduit en chinois, certains de ses poèmes sociaux sont appris par coœur dans l’Empire du milieu. Finalement, on ne peut être prophète en son pays ! Même si le général de Gaulle a repris bien des formules de Béranger dans ses discours : sans doute le fondateur du gaullisme a eu l’honnêteté de ne pas renier une part de ses origines...
Que lui reproche-t-on ? Tout et son contraire... D’abord sa totale indépendance des partis politiques, des mouvements, des clubs : son premier appui a été Lucien Bonaparte que Napoléon n’a eu de cesse d’éloigner du pouvoir. Second appui - il est enterré avec lui au Père-Lachaise - Manuel, le franc-maçon et politique ultra-libéral ( donc les anti francs-maçons et les conservateurs se retrouvent " anti-Béranger " ) Ensuite sa liberté absolue. N’ayant de comptes à rendre à personne, il n’agit que selon sa conscience et n’écrit que de sa volonté. De 1815 à 1830, ce patriote pousse l’esprit révolutionnaire à devenir social : Karl Marx relève que l’équation : " République + Social = Démocratie " vient de Béranger, et que les révolutions de 1830 et de 1848 lui doivent beaucoup. L’intérêt de ne devoir rien à personne est que Béranger n’a pas eu à se compromettre comme beaucoup d’écrivains du XIX° courant après les honneurs, un siège à l’Académie ( et aujourd’hui un prix ). En troisième lieu, son anti-intellectualisme. Ecrire des chansons, c’est bien, mais être chansonnier, ce n’est quand même pas une situation. En fait, Béranger est un homme du peuple. Qui ne renie pas la légèreté du peuple : cette indépendance d’esprit, et aussi la conscience que l’esprit de la République était désormais bien établi le fit se retirer de la vie publique en 1848. Dernier point : son anticléricalisme. L’anticléricalisme de Béranger n’est pas un anticléricalisme tourné contre les dogmes, la morale religieuse... Mais un anticléricalisme né de la Révolution, du combat contre le second ordre. Il est contre les curés, mais pas contre Dieu. Une certaine gauche, celle du " Père Combes ", de la loi de 1905, le rejettera.
On le voit, post-mortem, ses ennemis seront nombreux. Mais plusieurs petits cercles résisteront toujours pour honorer sa mémoire et, surtout, celle de la France. Le premier, dès la mort de Béranger, sera celui des Saint-Simoniens... qui transmettront cette flamme, donnant naissance à une " droite " anti-action française, anti-pétainiste dans laquelle se retrouvera le Général de Gaulle, mais peu de ses successeurs. Le second, après la commune de Paris, sera celui des " post-communards ", que l’on situerait aujourd’hui à l’extrême gauche, mais qui relèvent tout, qu’ils l’avouent ou non, de la Commune de Paris. Le troisième cercle est celui des poètes érudits. C’est à dire ceux qui, tout en écrivant de la poésie, étudient les anciens. Pour eux, Béranger est complètement incontournable, car il a inventé réellement une langue. Il n’écrit pas comme les classiques - qu’il ignore souvent - mais cisèle la langue qui sera celle du XIX° siècle et que l’on emploiera jusqu’en mai 1968. En outre le rythme des chansons donne de nouvelles ouvertures à l’écriture. Beaudelaire, Verlaine... Prévert ou Desnos ont la passion des chansons.
Pourquoi donc parler de Béranger aujourd’hui ? La poésie ne se porte pas bien, le Gaullisme semble abandonné, et l’extrême gauche voue un culte à Trotsky, l’inventeur du Goulag, le créateur de l’Armée Rouge, puis celui qui a introduit la notion de Révolution Permanente : veulent-ils vraiment rétablir la Terreur en France ? La raison m’est apparue évidente. La France - et l’Europe - traverse une crise politique sans précédent. Quarante années de pragmatisme absolu, ce nouvel absolutisme absurde, et de relativisme moral ont laminé les constructions politiques... L’Etat a été déifié : on ne parle, depuis les débuts de la crise économique provoquée par le choc pétrolier de 1973, que de l’Etat-Providence. Jadis, si l’on s’en remettait à la Providence, c’est que l’on s’en remettait à Dieu. Et encore, " aide-toi et le ciel t’aidera ! ". Aujourd’hui, on s’en remet à l’Etat. D’où la vague du nouvel anti-cléricalisme d’aujourd’hui : contre les politiques, les énarques... La religion a changé de camp, le père Combes en serait tout retourné.
Alors, lorsque tout va mal, tout semble chamboulé, il faut, pour paraphraser un célèbre entraîneur de football, " revenir aux fondamentaux ". Or il se trouve que l’oeuvre de Béranger est, en ce qui concerne l’origine de la République Française et de la Démocratie, l’un des fondamentaux incontournable. Son oeuvre a inspiré des poètes, des hommes de lettres, enthousiasmé tout un peuple qui s’est levé contre la tyrannie, des hommes politiques. Comment être gaulliste, socialiste, libéral.... si l’on ignore tout de Béranger ? Comment se revendiquer de l’esprit français si l’on ne connaît pas la légèreté de l’expression de ce chansonnier ni la profondeur de ses thèmes d’inspiration.
Pour réparer cette catastrophe nationale, ô combien plus dangereuse que le réchauffement de la planète, j’ai voulu vous donner un peu de vos origines.
Pierre Jean de Béranger m’a facilité le travail. Il écrit, entre décembre 1839 et janvier 1840, sa biographie. Elle n’est pas complète, mais il explique parfaitement sa démarche dans l’histoire, fort mouvementée, de sa naissance en 1780 à 1833 où il se retire de la vie publique, tant sur le plan de ses idées que de celui de son style. Son éditeur et exécuteur testamentaire, Perrotin, a complété cette autobiographie par quelques notes. J’ajouterai, ensuite, des éléments de courriers des auteurs classiques du XIX° siècle... Sans oublier les chansons et les notes que la poète avait rédigées pour la première réédition de ses oeuvres par Perrotin. Au sujet de ces dernières, se pose un problème important. On peut affirmer que celles éditées par Perrotin sont bien de lui. Mais que dire des autres, des centaines que l’on retrouve ça et là. En effet, beaucoup de chansons ont été écrites à la main, confiées, recopiées... Sans imprimerie, elles ont parcouru toute la France comme une traînée de poudre : certaines chansons écrites le lundi... étaient chantées à Toulon, dans les cafés, le samedi ! Certains éditeurs, à Amsterdam, ont publié des poèmes licencieux... que les mouvements lesbiens aujourd’hui revendiquent. Certains textes sont bien de lui... Mais l’origine d’autres textes peut nous interroger. Gustave Flaubert, qui courrait les salles de vente pour acheter des originaux de ces chansons, espérait reconnaître la signature du maître... quand ce n’était pas celle du copiste. J’indiquerai alors les réserves d’usage...
ISBN : 978-2-84668-074-4 - 200 pages - Format : 155 x 240 - illustrée de gravures sur acier originales - 18€